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CHRONIQUE MAURITANIDES

Habib Ould Mahfoudh

AL-BAYANE N° 67 DU 23 au 30 MARS 1993

 

Au début du mois de Ramadan la tradition veut que les diables, les djinns, soient ligotés et bâillonnés et jetés de l'autre côté de la mer bleue.

(On ne savait pas que l'autre côté de la mer bleue, il y' avait l'Amérique. Mais ça ne change rien. Ces exilés du troisième type sont libérés la nuit du 27 de Ramadan, " la nuit du destin " et rendus à la vie civile, si l'on ose dire. Nos diables à nous, il faudrait apprendre à les connaître. On les appelle de plusieurs noms différents, sans jamais la moindre once de méchanceté. Nos diables nationaux, à de notables exceptions près, sont très sympathiques. Ils n'ont rien à voir avec ces diables intellectuels, prétentieux et inquiétants de type Lucifer.

Nos diables n'ont jamais été anges et n'ont jamais fait la bête. Il conviendrait même de les appeler lutins ou farfadets, plutôt que diables ou djinns qui sous-tendent toute une métaphysique du mal et de la faute que nous ne trouvons absolument pas drôle. L e Mauritanien tient à ses démons et ne veut pas des diables d'importations. Je crains qu'ils ne soient d'ailleurs la dernière marque de souveraineté qui nous reste.

 

Les farfadets de nationalité mauritanienne se distinguent d'abord par leur " rapidité " : à titre d'exemple la traite des vaches prend moins de temps qu'il ne faille pour dire : " Tzzzz…. fermez l'enclos "

 

Nos lutins n'ont jamais cependant digéré la seule défaite de leur histoire, côté célérité, face à la tribu nomade Idayqub.Voilà les faits rapportés par un observateur de l'époque :

A une certaine période l'année les campements nomades se déplaçaient de conserve, tout à fait comme les navires d'une flotte. On ne relâchait pas au même endroit mais on s'observait de loin. Il se trouve qu'un campement de djinns s'était " jumelé " avec un campement d'Idayqub. Les pluies étaient abondantes et il fallait remonter très vite vers le Nord, au Tiris, pour que les chameaux puissent éviter les taons et la fièvre du Sud. Les deux campements changeaient trois fois de place par jour. Toujours plus au Nord. On entretenait des relations de bon voisinage : on échangeait des cordelettes contre du sel, des " cheveux " du thé vert contre une " pierre " de sucre les gosses se retrouvaient pendant les déplacements et s'envoyaient joyeusement à la face des mottes de terre, des ossements et des silex bien tranchants.

 

Le sixième jour trouva les deux campements sur le cordon dunaire de l'Akchar à la hauteur de Bir Igni. Une forte tempête de sable joignit le ciel et la terre. Le berger des djinns égara quatre chamelles pleines. Les Idayqub n'en égarèrent pas une seule. La tempête cessa. On devait se déplacer. Les djinns demandèrent aux Idayquob de bien vouloir " leur donner une dizaine de minutes pour leur permettre de se trouver les chamelles. Refus catégorique des Idayqub qui ne voulaient pas perdre le temps et levèrent immédiatement le camp. Les djinns restés sur place, humiliés, jurèrent par tous leurs dieux de ne plus saluer les Idayqub. Ce fut la seule fois où on les battit. Actuellement ils font tout pour oublier cette douloureuse page de leur histoire. " Efficacité et rapidité " continuent d'être la devise des lutins et c'est pourquoi ils sont si modernes. Par leur travail( invisible malheureusement ) ils ont pu faire de leur Mauritanie (invisible malheureusement ) un pays aussi développé et aussi performant que le Japon (le Japon visible, bien entendu). Vu que les djinns japonais, ce qu'ils font comme boulot hein!

 

Je me pose toujours la question pourquoi " les partenaires étrangers " les " bailleurs de fonds " n'ont pas choisi de traiter leur business avec nos diables plutôt qu'avec nos humains.

 

Peut-être que je me trompe après tout et que se sont réellement nos djinns qui sont au pouvoir et mènent les affaires du pays. Ce n'est pas du tout à cause de la " rapidité et l efficacité " de nos gouvernements mais de la deuxième caractéristique des djinns du pays : la haine viscérale de la symétrie et de l'équilibre.

 

On rapporte ainsi qu'un grand notable djinn de la région du Hodh oriental ne pouvait pas dormir à cause d'un certain détail chez un petit âne gris, du côté de Keur Macène, tout à fait à l'Ouest du pays. Sur un demi-chameau, il embarqua tous ses fils, tous ses frères, tous les adultes de la tribu et prit la route de Keur Macène. Ils trouvèrent le petit âne gris dans un bosquet d'euphorbes. La compagnie mit pied à terre. Le plus âgé marcha doucement, doucement pour un diable n'exagérons rien, tendit le plus long de ses six doigts - l'auriculaire - et l'enfonça dans l'œil du petit âne gris qui broutait dans un bosquet d'euphorbes au Nord-Ouest de keur-macène. Et la délégation se réembarqua sur sa moitié de chameau pour le Hodh, laissant derrière elle un petit âne gris et borgne.

Et le diabolique notable put dormir tout son soûl. Parce que le petit âne gris n'avait plus qu'un seul œil. Autre illustration de cette haine de la symétrie et de l'équilibre.

 

Pour transporter par exemple deux sacs de mil sur le dos d'un âne, les djinns ne procèdent pas comme " nous " ( ?)en mettant un sac sur chaque flanc du bourricot pour équilibrer la charge. Non, ils mettent les deux sacs sur un seul côté, l'un sur l'autre et ne mettent aucun contre poids de l'autre côté de la bête. C'est ce que les Maures appellent " rvud ehl lekhla ". On peut dire par exemple qu'au foot un score de 3 à O ou même de 8 à 1 s 'appelle " rvud ehl lekhla. Tout d'un côté et rien de l'autre ou presque rien.

 

Je ne sais pas si ça peut s'appliquer à un parlement monocolore et à des résultats formule kobenni. Il me semble toutefois que la philosophie djinniste de l'équilibre est à la base de notre système de gouvernement, média, et surtout média, y compris.

 

Autre fait dominant de nos sympathiques ombres sans ombre : ils sont toujours au Nord-Ouest. Et comme le dit un mathématicien de mes amis, puisque chaque point P du globe est obligatoirement au Nord-ouest d'un autre point P'. On peut dire que la totalité de la terre est recouverte par les Djinns. Nos glorieux ancêtres qui étaient sûrs que la terre était plate comme un discours de ministre (Pourquoi pas le savant Horbiger défendait bien la thèse selon laquelle la terre était une sphère creuse ) évitaient soigneusement les " Nord-Ouest "( à remarquer que la partie la plus intime des femmes était souvent appelée Nord-ouest aussi ).On interdisait aux femmes de jouer au Nord ouest des tentes. Les voyageurs ne sortaient pas du campement par le nord-ouest. Les étrangers n'abordaient pas par cette direction. Embargo total sur le nord-ouest. Comme on l'a vu ce sont des précautions inutiles vu que chaque point P du globe etc, etc, etc.

Je tiens à préciser que " l'évitement du nord-ouest " n'a pas empêché les mauritaniens de venir à Nouadhibou taquiner le poisson - qui ne leur a jamais rien dit - et expédier le fer du Tiris au-delà des mers.

Justement le fer joue un grand rôle dans cette histoire de diable : C'est l'arme absolue contre " ceux que nous n'avons pas nommés ". Pour les contrer il suffit de brandir un couteau ou toute autre pièce métallique. Ainsi la femme qui vient d'accoucher aura toujours un couteau à la main. Pendant les quarante premiers jours, la jeune mère était littéralement mise en " quarantaine " afin d'éviter " l'échange " de son bébé contre un bébé-djinn. Nous remarquons que l'exportation du fer est une sorte de pacte avec le diable, vu sous cet angle-là.

Est-ce à dire que nos pouvoirs successifs ont eu partie liée avec le Malin ?

C'est un pas que je ne franchirai point mais que penser de " l'objectif SNIM 12,5 millions ", du projet Guelb, et tout ce tralala sinon c'est pour évacuer le maximum de fer du pays pour que les Djinns se sentent à l'aise ? Nous ne pouvons pas ne pas noter l'étrange affection que portent nos farfadets aux peignes et aux cure-dents, dans " l'imagerie populaire ".

On s'interdit ainsi de les jeter pour ne pas que les mauvais esprits s'en emparent. C'est sans doute dû au fait que les djinns aiment beaucoup les ossements, les cheveux que le peigne arrache et les ongles. (" Tout ce qui a été soustrait à un vivant " - ma ubina min hayyin - comme disent les jurisconsultes musulmans ).

Un ministre limogé est-il considéré comme ayant été " soustrait à un vivant " ? Plus exactement, un ministre démis de ses fonctions est-il " habité " ?

Nous répondrons oui parce qu'on considère en général que tout ce qui est " tombé " est immédiatement " léché par les gens du vide ".Heureusement-pour les ministres mais surtout pour les diables - un ministre, c'est notoire n'a pas bon goût, ce qui empêche qu'on puisse le lécher longtemps. En outre le ministre a plus l'habitude de lécher ( avec une prédilection pour les bottes de type rangers ) que d'être léché. Il reste qu'être obligé, de part sa fonction naturelle, à lécher un ministre qui " tombe ", est une condition inhumaine, si on me permet le mot. Un peigne, un cure-dent, passe encore, mais un ministre ! Je ne voudrais que l'on me taxe d'être l'avocat du Diable, mais il est impératif à mes avis de créer une ligue nationale des droits des Djinns.

 

 

 

 

Habib AL-Bayane N° 65 du 10 au 16 mars 1993

LE PREMIER MOT

 

Nous devons demander pardon à nos femmes. Pour leur avoir volé leur fête d'abord. Mais la décision de quelques députés bourrés de complexes et ne voyant pas plus loin que leurs yeux de rayer le 8 mars du calendrier des fêtes n'soit que la confirmation de l'hypocrisie ambiante. Ce n'est pas une fête que nous avons volée aux femmes. C 'est une existence.

Le mâle mauritanien doit être bien content, bien au chaud dans ses certitudes imbéciles, claquemuré dans son ego, de montrer que les choses du pouvoir ne sont pas affaires de femmes. Pas de femme à l'Assemblée Nationale. Pas de femme au Sénat ni au Conseil Constitutionnel. Aucune femme à la tête de sociétés d'état. Un demi-ministère paralysé par le manque de moyens et l'absence d'orientations politiques claires : voilà tout ce que l'Etat a pu concéder à la femme. Autant dire rien.

L'idéologie minimaliste militaire a " partagé " les pouvoirs : l'exécutif aux maures blancs, le Sénat aux négro-africains, la cour suprême devant aller bientôt aux maures noirs. Les tribus, elles, doivent s'équilibrer à l'intérieur de ces grands cercles.

Les femmes ont le malheur d'être comptabilisées avec ces composantes de la Mauritanie à la suite de leurs " hommes ". Mais leur plus grand malheur est de constituer la majorité de la population. Et si l'on veut gouverner la Mauritanie, tout le monde sait qu'il faut être minoritaire. Nous devons demander pardon à nos femmes. Nous les avons volées, nous les avons violées, rayées d'un trait. Nous devons savoir que l'avenir de la Mauritanie dépend de ce qu'en feront ses femmes.

" La femme est l'avenir de l'homme ", ici plus qu'ailleurs.

 

 

CHRONIQUE MAURITANIDES

Habib Ould Mahfoudh

Mauritanie-Demain N° 28 DU 6 au 12 nov. 1991

 

Un congrès de chameaux, de vrais chameaux, s'est tenu le 20 octobre dernier dans la grande plaine désertique de Tijirit, entre les cordons dunaires de l'Azefal et de l'Akchar, à 200 km de tout point d'eau pour garantir le sérieux des débats.

A l'ordre du jour figuraient les points suivants :

-Processus démocratique et Camélitude

-Nouvelle politique éducative

-Attitude à adopter vis-à-vis du PRDS

-Défense des intérêts du consommateur Camélidé

-Questions diverses

Sur le premier point la gent caméline a été unanime : la démocratisation en cours fut saluée à grands blatèrements, certains éléments tentèrent d'applaudir mais ils durent arrêter sous l'injonction du chef chameau ( Chécha, pour les copines ). En effet, des chamelles avaient profité de la confusion pour se débarrasser de leur soutien-mamelles ce qui troubla fort les survivants de la vieille école. On envisagea même de rédiger une lettre de soutien au CMSN, ce que les jeunes contestèrent. Le chef Chameau insista mais dut battre en retraite devant la férocité des attaques de la Jeunesse Caméline.Les débats reprirent après que l'on eut pansé les plaies et les bosses ( !)du Chef (Big BOSSE pour les amis ).A la question de savoir si la démocratisation apporte quelque chose à la Cause, les avis furent très partagés. Le premier qui prit la parole souligna qu'une baisse du niveau de vie serait le corollaire logique de la démocratisation. Selon ce docte personnage le niveau de vie des chameaux s'est élevé subséquemment aux détournement des deniers publics, aux caisses noires et trafic de tout genre. La démocratie prétendait-il est transparence " Et la transparence c'est le régime sec pour nous, camarades ! Halte à la démocratie !! ". Un chameau qui jusque là riait comme un bossu de l'analyse faite de son congénère, prit la parole : " Les gars, faut se mettre cette chose dans la bosse : Tôt ou tard nous serons amenés à gouverner ce pays. Pourquoi les hommes continueraient -ils à nous imposer leurs lois ? Ils sont les moins nombreux en Mauritanie ! Démocratiquement le pouvoir doit revenir aux grains de sable. Mais vous savez ce que c'est un grain de sable ? Instable, vaniteux, bagarreur, léger et superficiel. La deuxième composante du pays c'est les oiseaux. Mais on ne peut pas compter sur ces gens -là.

Des cons, je vous dis qui préfèrent aller en Europe en été plutôt que d'investir au pays. C'est un peuple de clandestins, trafiquant, volant, chapardant

et piaillant. Troisième groupe ethnique de ce pays : les poux.

Leur laideur est anticonstitutionnelle. Le quatrième groupe par le nombre c'est nous, camarades ! Le vaillant peuple des chameaux, le peuple de la soif, des bosses altières et des trois paupières. C'est à nous qu'il revient de gouverner ce pays. Si nous démissionnons, si nous refusons cette responsabilité historique, nous aurons à en répondre devant le Tribunal de l'Histoire. Et le pays sera conduit par les vaches sinon par les chèvres ou les moutons ". L'orateur fut chaudement applaudi, une vieille s'essuyait les yeux avec émotion et des beautés à queues courtes se regardaient discrètement dans leurs miroirs, se demandant si d'aventure ce soir, par un petit clair de lune, dans la saignée d'une dune …

Un troisième chameau, de confession catholique, brillant orateur, se disant archevêque, surnommé par ses amis " l'Aigle des Chameaux " , et par ses ennemis, en raison peut-être de sa petite bosse, " Bossuet ", prit la parole : " Au nom du Père (en bas il ajoutait " DS ", du FIS (sa mère était la monture du harki ) et de Saint-Exupéry ! Chameaux, ô chameaux ! Peuple sublime ! Seigneur du Sahara ! Marcheurs au long cours ! Puits de sagesse ! Dunes de patience : Abonnés de la Sonelec ! Lumières des lumières de la vérité ! Correspondants de la Somagaz et de la Sonimex ! Chameaux ô mon peuple bosselé ! Un bruit qui remplit le désert de tourbillons de poussière et de crottes de piques, un bruit court dans le désert, dis-je, et il y'a de fortes chances qu'il meurt de soif : la dictature se meurt, la dictature est morte. "(Ici, on entend des jeunes rouspéter : " Le temps c'est précieux, crotte, abrège et dis nous c'que t'as dans la panse, bouseux " ) …

Bossuet déglutit péniblement et continue :

" OK. Je préconise une conférence nationale que je présiderai, œuf course .Elle réunira toutes les espèces animales, les hommes exceptés . Nous étudierons le moyen de les écarter et les exploiter comme ils le font pour nous. Chaque chameau aura un homme qu'il montera … "

L'orateur fut brutalement interrompu par un chameau à la voix fluette, balançant des hanches ,outrageusement parfumé : " Moi, j'étais très content d'être monté " Vive protestation des chamelles qui ne voulaient pas que les chamelons entendissent.

Big Bosse suggéra de passer au deuxième point de l'ordre des jours : l'éducation. Ce furent surtout les chamelles qui parlèrent. IL était évident que l'avenir de l'Ordre des Camélidés passait par une formation supérieure dictée par les besoins de la cause. Quelqu'un rappela qu'en fait ce qu'on appelait " chameaux " étaient de vulgaires dromadaires et que les vrais chameaux avaient deux bosses, signe d'une avance technologique et d'une suprématie intellectuelle évidentes . Il faudrait qu'on les prenne en exemple.

L'attitude que les chameaux devaient adopter vis-à-vis du PRDS se résumait en un mot : méfiance. Il faut être né dans le Sahara pour savoir combien les erreurs de navigation pouvaient être fatales. On accepta quand même de nommer Big Bosse et Bossuet coordinateurs locaux du parti.

Pour asseoir les fondements de la Révolution, il faut garder le contact avec les Maîtres . Une révolution ça se fait contre quelque chose, conclurent les chameaux . Les problèmes techniques furent débattus avec une violence qui laissa cette partie du Sahara sèche de surprise et d'indignation.Premier point exigé par la Ligue des Consommateurs Camelins (LCC) : L'Interdiction de la Vente de l'Eau, la fermeture des débits existants et les travaux forcés pour les propriétaires de puits clandestins .

C'était trop fort. On tomba d'accord quand même sur deux points :

- L'interdiction de toute publicité pour l'Eau à la Télé alors que dans les journaux on devrait obligatoirement la faire suivre de la mention : " sachez apprécier et consommer avec modération ".

- L'instauration d'un aquatest pas pour les conducteurs des véhicules mais pour les véhicules eux-mêmes.Un taux d'aquémie supérieur à 12,12 % et hop on-je-te-me-vous gare et te-me-je vous laisse le chauffeur se taper le reste à pied.

Ensuite les participants abordèrent l'épineux problème des cigarettes Camel. Pour certains le fabricant a porté atteinte à l'image des Camélidés en les associant à la fumée. Pour d'autres c'est la pub des Camel qui est horripilante : Un chameau souriant niaisement ,une cibiche au bec .D'autres encore trouvèrent l'image subliminale du lion sur la croupe du chameau odieuse et celle du bonhomme nu encore plus abjecte.Tous étaient d'accord qu'il fallait amener Camel cigarettes devant les tribunaux. Et tous étaient d'accord que l'image des allumettes de Mauritanie était le coup le plus bas que l'on eût porté à la Camélitude depuis la disparition de Gigantocamelus.Que l'on associe le chameau à la fumée, soit. Au beurre des cacahuètes, au capitaine Haddock ,aux Saoudiens , on accepterait à la rigueur . Mais que l'on l'associe à des allumettes qui font tchchch ou prrout , plutôt mourir !Le Sahara ne sera jamais assez aride ni assez sablonneux pour boire cette honte !

On passa enfin " aux questions diverses ".Quelqu'un demanda "Quand est- ce qu'on pourra aller se balader en avion ? " On lui répondit que les questions étaient certes diverses mais pas idiotes. Il répondit "Ah bon " et la ferma . Quelqu'un sortit un rasoir G2 et demanda si quelqu'un pouvait le raser. On lui montra sa mère. Un chameau demanda des Marlboro, un autre le nom du ministre du Développement Rural . Un chameau à lunettes exhiba un numéro de Mauritanie-Demain où il y'avait un stupide article d'un sinistre individu dénommé Habib et intitulé : " Lettre ouverte à un chameau "Aucun membre de l'assistance ne reconnut ce Habib-là et tous tombèrent d'accord que le monde est plein de fous. Ils décidèrent quand même de lui répondre. Habib n'a pas encore reçu la lettre (c'est une note de la rédaction ) mais de source bien informée elle sera là dans deux semaines, incha allah . La dernière question diverse fut de savoir qui va déposer les jeunes chamelles chez elles. Tous les mecs se proposèrent. Ce fut Big Bosse qui trancha : Ce sera lui. Le pouvoir ça se cultive, bande de chameaux !Le prochain congrès se tiendra au Stade de la Capitale. En attendant, on bosse.

HABIB OULD MAHFOUDH CHRONIQUE MAURITANIDES

MAURITANIE-Demain Périodique Indépendant NUMERO 12 MARS 1990

 

 

Les mauritaniens sont-ils tous des obsédés sexuels ? Il est hallucinant, le nombre de fois où les mots et les gestes renvoient au sexe , dans notre vécu de tous les jours .Pas une conversation qui ne tourne plus ou moins autour de ce sujet, de geste qui ne soit éminemment équivoque et ne soit interprétable avec force connotations sexuelles . J e n'aurai pas l'hypocrisie de considérer cela comme un mal. Mais le f ait est. Voyons voir la journée ordinaire d'un citoyen moyen de la république islamique.

Au lever la première question qui lui poseront ses amis sera : Où as-tu passé la nuit pour être si fatigué ? La réponse se fera avec un sourire sibyllin laissant entendre qu'il fait plus qu'il n'en dit. Même s'il a passé la nuit à dormir à côté de sa grand-mère ou dans un tank blindé.

Au travail, notre citoyen islamique ( depuis le directeur à la coiffure impeccable et aux pieds crasseux jusqu'au planton dont la femme vient d'accoucher ), passe son temps à prendre des renseignements sur les filles , à évaluer leur prix , à deviner leurs charme , à taquiner les secrétaires pas fraîches à parler avec les visiteuses aux visages en arc-ciel . Et je ne vous parlerai pas de traques, des pièges tendus ,des sous-entendus , des allusions , des intrusions , des intrusions , du cirque de la voiture , de la chasse aux connaissances de l'ami de l'ami du grand-frère du cousin .

Le soir, les yeux pleins de rien , le nez un peu plus long , les chevilles grises , des solo de saxo dans l'estomac , notre Casanova théorique dormira comme un matelas , l'esprit plein de voiles , la poche pleine de vent … et au matin il sourira mystérieusement .

La Mauritanie est devenue une grande contrée d'où des soupirs montent lentement vers le septième ciel et se fondent dans les étoiles.

Nouakchott, particulièrement, s'est transformée en gigantesque bordel où les mâles font la parade ( et ne font que ça) devant des femelles faciles. Ce n'est pas mauvais mais il n'y a pas que ça ! On ne peut pas construire un pays en forniquant.Il faudrait canaliser toutes ces énergies avant que nous nous engloutissions dans un océan séminal.

Ne croyez surtout pas que c'est une affaire de jeunes. Les vieux, si prompts à moraliser , sont les premiers concernés .Ils ne pensent qu'à ça, pire, ils ne font que ça !

Que faudrait-il faire ? Consacrer un jour de la semaine à ces choses ? Officialiser la prostitution ? Le Chaab ? Faire une bourse ( plusieurs, peut-être)

du sexe ? Faire appel à une assistance technique qualifiée ? On peut essayer. Mais comme le dit un dicton populaire : " La raison du pauvre est dans son derrière ". Tout un programme.

En attendant oui, nous sommes , tous , Mesdames, mesdemoiselles et messieurs , des obsédés . Bonsoir.

 

Ces considérations cul-(turelles)- faites, je saute (pardon) du coq-à-l'âne .Voici maintenant une série d'interdictions que je propose aux autorités compétentes :

- D'abord, interdire le port du voile aux femmes .Il n'y a aucune raison à ce que l'on fasse campagne contre le boubou et pas contre le voile. C'est l'égalité, oui ou merde ? Que nos femmes soient libres de montrer ce qu 'elles veulent et que l'on ne réduise pas l'islam à une affaire de fesses ! La population du pays tend vers les 70 % de femmes et on va pas continuer à les cacher comme une maladie honteuse. Déjà qu'elles sont si mal foutues …alors,

- - Deuxio, interdire les moustaches dans les établissements publics. Ça na pas de sens mais c'est toujours ça de changé et ça permettra d'interdire les barbes.

- Ensuite interdire aux enfants de sortir sans leurs parents et aux parents de sortir sans leur W.C.

- Interdire l'exercice non déclaré de la prostitution.Cela permettra le suivi médical et fiscal (il y'aura des vignettes en rapport avec le poids )et ça évitera de fâcheuses méprises.

- En quatrième position on interdira formellement aux gens de s'adresser à des inconnu(e)s, à les écouter ou à les regarder . Tout contrevenant devra payer une amende allant de 10.000 à 20.000 UM et purger deux mois de prison ferme. C'est stupide mais pas moins que le reste.

- Enfin, prohiber le thé et tous ses succédanés jusqu'à nouvel ordre .(Je suis amateur de thé) .On n'a pas idée de ce que ce breuvage chinois nous gaspille comme temps et argent. Ce ne serait pas mal qu'on interdise le riz par la même occasion, le cous-cous et les macaronis.Ça nous obligera à plus d'imagination.

Faudrait-il fusiller les détourneurs de fonds publics ? Il y'a un problème : Les 3 tiers virgule 5 de la population y passerait. Et il se trouvera bien quelqu'un pour détourner les fusils et les balles. Que faire alors ? C'est simple: Instituer les détournements de deniers publics en devoir national.Chaque mauritanien est tenu par la loi de s'approprier les fonds de l'Etat au moins une fois dans sa vie. Vous verrez, plus personne ne prendra plu rien . L'écrasante majorité de la population du pays est faite de descendants de pilleurs, de razzieurs , de trafiquants , de charlatans , de menteurs et de scélérats .On n' efface pas d'un coup 10 siècles d'atavisme. Il est difficile pour nous tout simplement d'être honnêtes.Je vous comprends. Mais je ne vous pardonne pas. Devrons-nous remplacer le drapeau national par un pavillon noir avec une tête de mort. Mais je voudrais bien savoir à quoi ressemble une tête de détourneur ? Et si la télévision nous en montrait un, un seul ?

Justement parlons de la télévision mauritanienne. Elle s'est souvent penchée (et est tombée souventes fois ) sur des problèmes bien de chez nous même s'ils n'étaient pas vitaux. Je vais me pencher moi aussi( et je vais tomber moi aussi )sur la télévision et ses programmes.Voilà ce que ça donne :

-La tranche 7h10 à 8 heures, la plus regardée est aussi la plus débile.A part des chœurs Soninkés le reste est à brûler,l'émission des analphabètes en tête et le présentateur avec .

- Les émissions de Transtel-charité ? Insipides, connes à en crever .

- - Le journal de 20 heures ? Un bulletin météo-radio avec une gueule constipée en prime. Le jingle est ridicule, le logo est piqué à une émission de Transtel sur la comète de Halley .Certains présentateurs commettent des bourdes monumentales, s'accrochent à la table comme des naufragés ou se tordent les mains comme s'ils avaient une furieuse envie d'aller aux toilettes.L'image ne suit pas le commentaire, et le commentaire n'est souvent qu'un soupir d'impuissance .

- - Les sketches du groupe de théâtre amateur ? Ce ne sont pas des sketches.Le théâtre est un brillantissime jeu de l'esprit et du corps. Les crétins phtisiques qu'on nous présente sont à mille lieues de n'importe quoi sauf du grotesque. C'est une insulte à l'humanité. Nous sommes tous en danger moral. Je saisirai l'ONU.

- Le journal de 21H30 souffre des mêmes problèmes techniques que l'autre journal. Par contre certains présentateurs sont bons(Cheiguer , Raky).Seul Mahmoud Ba sauve le journal arabe.

- Les intermèdes musicaux traditionnels sont à supprimer absolument …depuis le temps qu'on les voit et qu'on les entend …On doit interdire l'antenne à un musicien assis.Merci.

- A interdire également les reportages bidons sur les fourneaux, sur les salamaleks ou les chèvres pendant le journal .Les gens qui pissent dans les rues, ce n'est pas une information . Ceux qui n'y pissent pas ou plus, oui . A chaque fois que notre télé descend dans la rue, elle se casse la gueule , défaut de professionnels .

- Les soaps égyptiens asphyxient notre très très petit écran.On doit chercher autre chose : des feuilletons zimbabwéens, par exemple .On gaspille le temps et l'argent avec ces love stories répétitives .A quand de bons films devant nous ? Pour l'an 3000 ? Nous ne serons plus ici…

- Pour conclure je dirai que malgré toutes ces insuffisances notre télé n'est pas du tout inférieure en qualité à ses consoeurs d'Afrique.Nous savons à notre décharge que nous somme une civilisation du verbe et non de l'image. N'empêche, nous exigeons de notre télévision qu'elle change à 100 % . A bientôt.

Je re-saute du coq-à-l'âne, mon sport favori pour parler des personnes âgées .Devons-nous attendre qu'elles disparaissent pour édifier une société sans complexes, ou devrons accélérer leur disparition ? Les générations de plus de 55 ans constituent actuellement un blocage.Nous les prions de s'en aller ou alors ce sera à nous de me faire. Une nouvelle société se construit avec un sang nouveau. Métissez-vous, brassez-vous , l'infarctus arrange beaucoup de problèmes .

Musique ! Que n'a -t-on dit ? Que n'a-t-on fait ? Silence. On accouche. Qu'est ce que ça va donner ? Halte à la musique oua-oua oua !vive le crac. Dzim-boum ! Défoncez-vous mauritaniennes mauritaniens, peuple de héros , ce n'est pas tous les jours q'un pays a trente ans . Je demande que l'Etat subventionne les boites de nuit et les bals du jeudi soir. Ça facilitera le boulot des flics. Votre permis de conduire ? Si, si, voilà , mais c'est le Chaab !

Qui connaît notre hymne national ? Moi m'sieur !Je suis bien le seul. Je propose qu'on organise une semaine nationale de l'hymne et qu'on fasse chanter tout le monde. Les membres du CMSN et les ministres en tête. C'est pas croyable ! On connaît toutes les marseillaises, prototype du chant réactionnaire belliciste pourquoi pas notre doux chant national ? Décrétons 1990 année du changement " dans nos têtes ", faites chier à la fin !

 

Ce que j'ai retenu de 1989 :

-Que j'étais à Dakar en janvier et que je n'y suis pas maintenant.

-Qu'Islmael travaillait au port en boubou et qu'il est maintenant en Jeans.

- Que Mitterand ne parle pas anglais et que Bush ne parle pas français et qu'ils discutaient, sans traducteur, de l'avenir de l'Allemagne sur une plage de Saint-Martin . Ce qui laisse augurer de grands malentendus dans l'histoire à venir.

- Qu'il n'y a rien de neuf sous le ciel du Sahara. Gageons que 90 sera l'année du changement positif.

Que le Maghreb arabe n'avance pas. Et que nous devons plier notre pays et s'installer autre part qu'entre maghrébins apathiques et des africains affolés.Peut-être trouverons -nous à côté du Portugal un petit coin ? Ou à côté de l'Afghanistan ? Mais qu'il soit vraiment petit. Notre principal problème est l'étendue de notre territoire.Que voulez-vous faire avec deux millions de cons répartis sur un million de Km2 ? Devons-nous importer des gens ou exporter des morceaux du pays, vers la suisse par exemple ? La commission des finances évaluera …

-Que Khadijetou a pris 10 kg et qu'elle ne fume plus que 15 cigarettes par jour.

Je propose qu'on taxe les femmes sur les kilos qu'elles ont en trop. Ça renflouera les caisses de l'Etat.

- J'ai retenu aussi que je n'ai pas retenu beaucoup de choses de 89 qui a été marquée par la commémoration du Bicentenaire de la révolution française, mais comme la prise de la Bastille était le jour de la Tabaski , j'ai célébré seulement la Tabastille . (C'était facile pardon). Mais comme je n'en suis pas à une connerie près, ce n'est pas cela qui me fera rougir .

Je vous lâche au terme de cette dissertation loufosophique et je demande qu'on me fusille pour que je ne recommence plus. Bonne année.

 

 

 

HABIB OULD MAHFOUDH - CHRONIQUE MAURITANIDES

AL BAYANE N° 11 du 26 Février au 3 Mars 1992

Le CALAME N° 232 du Lundi 17 Août 1998

Par les temps qui courent - à croire que les temps n'ont que ça à faire -il est de bon ton de penser contre " la presse nationale ", de la montrer du doigt, de l'accuser de tout ce dont on peut accuser une presse se voulant " nationale " et comme si cela ne suffisait pas, " indépendante ".

Le reproche principal qu'on fait à cette presse est ce lui de ne pas être " professionnelle ". Le reproche se justifie, comme toute chose, mais relève d'une logique qui peut mener loin, très loin dans l'illogique. Si le lecteur, c'est un petit exemple de cette logique illogique, est en droit d'exiger une presse " professionnelle " cela voudrait dire que la presse a aussi le droit d'exiger des lecteurs "professionnels ", spécialisés dans la lecture de " la presse nationale indépendante "

Convenez avec moi que ce n'est pas très drôle. Autre petit exemple : Si le journalisme doit uniquement être le fait de journalistes professionnels, n'est-ce pas vouloir aussi faire de la politique un domaine réservé aux diplômés de sciences politiques, de la conduite automobile le monopole des chauffeurs professionnels, du Tiéboudiène une spécialité des chefs cuisiniers diplômés de l'école des Arts culinaires ? Reconnaissez qu'il n'est pas nécessaire de sortir de HEC ou de Harvard Business School pour être un bon commerçant, ni d'une quelconque ENA pour être un bon administrateur. Encore un exemplillon, mignon, mignon : si l'on ne permet pas aux " amateurs "de faire du journalisme, on devra alors interdire :

- Aux non diplômés de langue et littérature française de parler et d'écrire en français.

- Aux non-économistes de parler inflation, de dette extérieure, de FMI, de hausse des prix …

- A ceux qui ne sont pas nés au pôle nord de manger des glaces.

- Aux non chinois de boire du thé.

- A ceux qui sont nés sous la tente d'habiter en ville.

- A ceux qui n'ont pas lu Freud d'aimer.

- Aux lunettes de se casser et aux voitures de tomber en panne.

- A ceux qui n'ont été ni Vietcongs ni Marines américains de manger du riz ( encore que ces derniers le mangeaient par la racine ).

Interdire aussi :

- A toutes les personnes n'étant pas nées tubes digestifs et de père et mère tubes digestifs de manger.

- Interdire à ceux qui n'ont pas lu Foucault de lire un journal et d'écouter la radio et, surtout, de devenir fous.

- Interdire à ceux qui ne connaissent pas la conception hégélienne de l'épopée de lire l'Iliade.

- Aux fils de guerriers de réciter le Coran, aux marabouts de porter des armes, aux sédentaires de voyager, à la pomme de tomber, à x d'être égal à 1/2gt2, à ta tante de se marier, aux demoiselles de faillir à leurs engagements, aux dames de les tenir, à ainsi de précéder de suite et un tas de choses que j'énumérerai l'un des quatre matins -qui n'en valent plus qu'un par ces temps de dévaluation.

Mais, mais, mais. Qu'est ce qui importune tant de bonnes âmes ?

Le traitement qu'on fait de l'information. Paraît-il. Ce que confirme le sondage par nous effectué sur un échantillonnage représentatif de la population mauritanienne : moi et mon chien (il n'y a que deux catégories de mauritaniens ).Pour mes lecteurs que j'aime tant je vais me livrer à un petit exercice de traitement de l'information, juste pour s'amuser en ce début de khrif visqueux.

Soit l'information suivante :

" Un ministre portant un costume noir, un attaché-case à la main, descendit de sa Mercedes et croisa un mendiant qu'il fit semblant de ne pas voir. Le mendiant lui fracassa le crâne avec son stylo. La cervelle du ministre se répandit par terre et le mendiant en mangea goulûment ".

 

L'énoncé ci-dessus peut-être traité de diverses manières tout en conservant les informations qu'il contient. Si on a un faible pour Queneau, on peut en faire un exercice de style.

D'abord un style indigné :

" C'est épouvantable ! O temps ! O mœurs ! Un ministre ! Oui, parfaitement un ministre qui descendait de sa Mercedes se faisant agresser par un sale mendiant qui lui a pulvérisé le crâne avec un stylo oui un stylo sur u crâne de ministre ! Parce que le pâuvre ministre ne l "'a pas regardé ! C'est fragile une tête de ministre ! Et le plus affreux, ce n'est pas la cervelle du ministre répandue par terre dont le mendiant, dégueulasse s'empiffrait, beurk non ! Le plus terrible était l'attaché-case du ministre ouvert par terre, cachant ses dossiers confidentiels et surtout son beau costume noir tout taché, foutu à jamais ! Ces mendiants ne respectent rien ni personne ! "

On peut embrayer sur le style puzzle

" Un ministre, une Mercedes, un attaché case, un costume noir, un mendiant, un stylo, un crâne pulvérisé, de la cervelle par terre, miam-miam ".

Ou un style ampoulé

" L'effroyable bête qui somnole en tout en chacun a frappé encore. Un haut commis de l'Etat et fidèle serviteur de la République se fit sauvagement occire par un gueux qu'il feignit de ne point voir alors qu'il descendait de sa magnifique limousine de marque allemande. L'instrument qui fit passer le ministre de vie à trépas était un écritoire vulgaire. Le contenu de l'auguste chef de ce serviteur zélé de la chose publique se répandit en mille fleurs sur son beau costume anthracite tandis que le sac qu'il avait à la main, sorti tout droit de chez Vuitton , roulait très loin dans la fétide glèbe de Noacchôte . Que ne fut notre surprise lorsque nous vîmes l'abominable gueux se délecter de cette matière grise épandue qui fit tant pour le bonheur des honnêtes gens ".

 

Ou alors un style injurieux

" Bien fait !Il le mérite ! se pavaner en costume noir devant un misérable bonhomme sans même daigner le regarder !Un enfant de salaud, ce ministre ! Aaah, elle va rouler toute seule, maintenant la merco ! Pin pan pin pan !Elle est orpheline ! Ah ! c'qu'un bic peut être utile ! Vlouff !Pchch ! Pour une fois qu'on peut voir clairement c'qu'il y'a dans la tête de ces gens-là !Mon rêve, ah, connaître ce que pense un ministre !Voilà, c'est devant moi, à mes pieds . Bon appétit, vieux !Attention à l'indigestion !Dites, et la Samsonite , elle était dans sa tête aussi ? "

On peut de même essayer le style TVM-Radio Mauritanie-CHAAB :

" Son excellence Monsieur le Ministre X , ministre des affaires passagères, a reçu aujourd'hui l'émissaire de la République de la Misère . Ils ont discuté de la coopération bilatérale entre nos deux pays qui est un modèle de coopération sud-sud. "

Et le lendemain " Par décret présidentiel en date de ce jour M.Z est nommé ministre des affaires passagères. "

Ou le style distrait occupé

 

" D'accord , d'accord c'est un ministre et un mendiant . Lequel avait une Mercedes ,ça je ne sais pas , hein . Lequel a frappé l'autre sur la tête ? Aucune idée. Avec un stylo, dites--vous, ou un attaché-case ? Oh ! Ça franchement ….

Quelqu'un mangeait quelque chose, c'est sûr , mais qui, mais quoi…Ce qui est sûr , c'est que l'un n'a pas regardé l'autre . Ah ! y'avait aussi une veste noire quelque part …

Le style nerveux

" Comment voulez-vous que je voie quelque chose avec cette putain de poussière et ce bordel de merde de frein qui ne marche pas ? M'en fous, moi , des ministres , des mendiants , de tout le monde , merde et merde et merde !Et les costumes noirs, et les gens qui bouffent , je m'en fiche , je m'en fiche , vous entendez ? Je m'en fiiiiiiiiche ! "

Le style timide

"Il paraît …heu oui qu'il est mort …on m'a dit ça …qu'il a tué …je veux dire … l'autre …heu … a tué l'autre …oui c'est ça …l'autre portait …hm…comment on dit ça …exactement …voilà…je les ai vus…oui…mais je n'étais pas présent …c'est-à-dire…heu…je n'ai rien vu …au revoir "

Le style obsédé

" T'as vu mec, la nana qui passait juste quand le pauv' ministre faisait bousiller la tête ? Oh waow ,waow,mec ,t'as manqué Tchernibyl et Three miles Islandssur deux jambes ! oh :ma mère, ay ay ay ,Hiroshima et Nagasaki pendant que ce con de mendiant enfonçait son stylo ? Tu sais que le stylo est le symbole phallique par excellence ?Tu sais rien, toi , de toute façon t'as raté le spectacle de ta vie ! Comment une telle gonzesse peut-elle respirer ? Et ce connard de soleil qu'on voyait même plus ! Un flamboiement, la fille , une explosion ,oooy , une secousse tellurique ,lalalala…Et la samsonite du ministre qui a failli fondre !Et son costume noir qui un instant se mit à réfléchir la splendeur paroxysmique qui passait !Le mendiant en mangeait la terre de saisissement !Tu sais ce que représente la terre ?La femme !la Mère et l'Amante !La sève de la vie !Dis, tu penses qu'avec une Mercedes comme celle-ci on peut avoir toutes les gonzesses qu'on veut ? "

Le style Al Bayane (ancêtre du Calame )

"Un ministre qui utilisait la voiture de l'Etat pour les besoins de ses petits trafics a sauvagement attaqué un pauvre mendiant qu'il faillit d'ailleurs tuer avec sa Mercedes parce que, justement , il faisait semblant de ne pas le voir . Le mendiant n'eut d'autre choix que de prendre la fuite. Cependant, son stylo , se sentant en légitime défense riposta et blessa légèrement l'arrogant ministre à la tête .Ill va de soi que la cervelle de ce hautain personnage vit là l-occasion inespérée de s'évader de sa prison trop étroite, rongée par la vermine , n'offrant même pas la possibilité du suicide , tellement les poutres étaient pourries . La NASR, cette aberration , devra penser à indemniser le mendiant et la Caisse Nationale ,cette ignominie , à le prendre en charge et l'évacuer d'urgence à Bangkok . Il est inutile de rappeler que des élections municipales dans la situation présente ne sont qu'une provocation de plus d'un pouvoir se sachant en perte de vitesse et qui a fait de la logique de confrontation un programme politique "

Le style salon de Nouakchott

" Il paraît qu'il s'est fait avoir …Ouay , c'est vrai …Dommage …Il ne fait pas attention …Il sort comme ça …C'est tout…Il venait de descendre …Il était encore en costume …si …si …La Mercedes que tu connais , là , ouay …eheeèh…l'ancienne voiture de comment il s'appelle …ouay…ouay …andu un port-document vi-h des dossiers ,là…Ish wâ'id bî-h, gâ…Il est fou …Il l'a frappé ,ouay , c'est tout , avec un stylo …tag…vrai , il a mangé ça …Igassar oumrou …Il devait mourir de faim … "

Le style romantique

"Le soleil baignait la terre de cette nappe de lumière qui emplissait les êtres et les choses d'un immense bien-être et les poussait à s'aimer. Un sublime vieillard en guenilles, respirant on ne sait quelle mâle et biblique assurance dût déclarer un peu trop passionnément sa flamme à un jeune gaillard qui venait de descendre d'une superbe monture frappée d'une étoile à trois branches sur le front. Il s'ensuivit un joyeux remue-ménage pendant lequel on vit, ultime acte d'amour , le vieillard déguster avec volupté la cervelle de celui qui , probablement , venait de l'éconduire . Le jeune homme, ce qui était saisissant , portait déjà son propre deuil . "

 

On peut continuer les variations à l'infini. La question demeure :

Les lecteurs veulent-ils toujours que 2+2 fassent 4 ou pensent-ils qu'il vaut mieux qu'ils aient des petits ?

Ce sont des hommes qui font la presse. Avec leurs défauts et surtout avec leurs qualités. Les lecteurs se plaindront quand les maîtres de la presse seront des robots. Je le suppose, du moins , parce que ceux qui font la presse n'aimeraient pas du tout avoir des robots comme lecteurs . L'Histoire, et je ne connais pas Fukuyama , s'arrêtera quand il n'y aura que des informations présentées telles qu'elles se sont passées .

 

Ce texte a été écrit par Habib Ould Mahfoudh pour présenter un cours de français à l'ENS .

C'était un petit village qui se réveillait au premier appel du muezzin et se couchait après la traite des vaches. Il y vivait une petite communauté prospère de cultivateurs , d'éleveurs sédentaires et de marabouts .

La vie s'y déroulait paisiblement , jusqu'au jour où la pluie ne vint pas au rendez-vous .

Le mois de juin s'écoula sans qu'une seule goutte ne tombe du ciel. Juillet , Août , Septembre se défilaient ; toujours aussi secs, toujours aussi torrides . On fit des sacrifices, on implora Dieu . Mais pas le moindre petit nuage ne vint tâcher le ciel désespérément bleu .

Ainsi, commença une longue et terrible sécheresse .

La terre, brûlée par le soleil devint impropre à la culture . Le bétail fut décimé par la faim, la soif et la maladie . Les habitants du petit village le quittèrent pour la grande ville. Là, cultivateurs et éleveurs vinrent grossir le rang des chômeurs ; les marabouts, eux , se muèrent en mendiants . Et aujourd'hui,là-bas , sous un linceul de sable , le petit village se meurt doucement .

HABIB OULD MAHFOUDH - 1982 .

 

Hommage à Habib ould Mahfoudh

L'auteur de ces lignes a connu Habib ould Mahfoudh, d'abord , à la lecture de ses écrits éblouissants parus dans " Mauritanie-Demain " , puis à travers ses remarquables articles qui égayaient " Al-Bayane " ,enfin grâce à ses éditoriaux impressionnants et à ses fameuses " Mauritanides " que publiait le Calame .

Je l'ai rencontré pour la première fois,lors des préparatifs des élections présidentielles de janvier 1992 .Ce qui frappait le plus chez cet intellectuel raffiné, éclectique mais très modeste, c'était ,tout à la fois ,son sourire franc ,son regard intelligent , sa grande courtoisie et son sens très poussé de l'humour . Suite au décès de Habib ould Mahfoudh les militants mauritaniens des Droits de l'Homme sont devenus orphelins.Car, non seulement ils ont perdu un des plus actifs parmi les leurs, mais a disparu le défenseur des défenseurs mauritaniens des Droits de l'Homme . Il avait d'autres fonctions sociales exceptionnelles qu'il remplissait, discrètement ,inlassablement et efficacement : le porte-parole des sans-voix, l'ami conseiller des victimes des violations des Droits de l'Homme , l'avocat des déshérités , la boussole des " paumés ", le polyglotte comprenant le non-dit ,le disponible réconfortant des " inconsolables ",le perspicace expliquant , de façon lumineuse , des situations complexes …Nous jurons de tout faire pour poursuivre ton combat , notre combat , pour une Mauritanie réellement démocratique , pluriethnique ou régneront la justice et l'équité sociales .

Repose en paix Habib. Nous ne t'oublierons jamais !

Qu'Allah t'accueille en son Saint Paradis.

Professeur Cheikh Saad Bouh Camara ( AMDH )

***

Allah ! Comme je suis triste, ma peine est grande car j'ai perdu l'ami que je ne connaissais pas , l'ami que j'ai très peu rencontré .

Mon Dieu, comme ce jeudi est triste ! Entre les quatre murs de ma prison, je m'attendais à écouter le résultat des élections du bureau de l'Assemblée . J'en souriais encore quand le speaker annonça le décès de Habib Ould Mahfoudh, et le sourire se transforma en rictus . C'est terrible de découvrir que vous pouvez avoir des êtres qui vous sont chers, cachés quelque part dans votre subconscient et surtout quand ce constat n'est révélé , consciemment ,que par le vide que crée leur disparition .

Habib, je n'ai pas à l'esprit son image , pourtant il était là , discret et pesant , invisible et omniprésent .

Habib, c'est les Mauritanides , c'est ce courage et ce génie qui lui permettaient de remplir une page d'un texte écrit et d'un autre aussi puissant et aussi dense entre les lignes du premier .

Comme une peinture abstraite, ses écrits vous offraient de défier votre imagination . C'était un artiste des mots.

Habib doit rester parmi nous à travers un recueil de Mauritanides.

Pour moi, je viens de le connaître et j'évoquerai souvent cet ami de l'inconscient que j'ai raté.

Chbih Ould Cheikh Melainine Prison Civile d'Aioun, le 1er Novembre 2001.

***

Le Premier mot

Du nouveau. Fait avec l'ancien, certainement, mais du nouveau. Etant bien entendu que nouveauté ne veut pas forcément dire changement positif .

La semaine passée nous avons ouvert le dossier de la fédération Nationale des Transports (FNT).Nous le continuons cette semaine et le poursuivrons la semaine prochaine. Seulement nous ne savions pas , en entamant ce dossier, que la FNT a pas mal de choses à cacher , de choses qu'elle voudrait irrémédiablement tues. Là n'est pas la nouveauté. La nouveauté n'est pas non plus dans le droit de réponse (à quoi ?)que nous publions dans cette livraison où l'on accuse, comme à l'accoutumé, le journal d'être n'importe quoi aux mains de n'importe qui. Ce n'est pas bien nouveau, tout ça, et nous avons essuyé pire.

Le nouveau ici, c'est que, pour la première fois, l'un de nos journalistes se voit sommé d'arrêter une enquête sous peine de mesures graves à l'encontre de sa personne et de son entourage. Ce n'est pas la menace habituelle à l'encontre des journalistes et du journal qui est neuve, non, mais la pratique bien connue du chantage par menaces sur les membres de nos familles. Oh !Nous ne nous faisons pas d'illusions. La FNT est la plus forte sans doute, et elle pourra nous faire autant de mal qu'elle voudra, et en toute impunité. Oui. Mais que la FNT ne se fasse pas non plus d'illusions. Nous ne lui ferons aucun cadeau et personne ne peut empêcher encore une fois Don Quichotte de se battre contre les moulins.

Nous dirons exactement ce que nous savons sur la FNT, sans haine et sans passion, sans chantage d'aucune sorte d'autocensure. Nous savons qu'il est exactement simple d'arrêter la parution de notre journal. Les moyens mis en œuvre depuis huit mois pour ce faire ne laissent aucun doute quant à l'issue du combat. Il faut certainement un tout petit peu plus pour nous stopper. Mais il en faut beaucoup, beaucoup plus pour nous intimider, pour nous empêcher d'écrire la vérité, de crier la liberté, de montrer du doigt la corruption, le vol institutionnalisé, le chantage comme mode de gouvernement, l'escroquerie élevée au rang de religion. La Mauritanie n'a que trop pâti de l'ordre des sectes affairistes. Le Lion n'a pas encore fini d'entendre parler du Moucheron.

HABIB OULD MAHFOUDH LE PREMIER MOT

AL BAYANE N° 39 du 9 au 15 Septembre 92

 

CHRONIQUE MAURITANIDES - LE CALAME N°88 du 13 au 19 Juin 1995

Par HABIB OULD MAHFOUDH

 

J'ai vu que le premier ministre Sidi Mohamed ould Boubacar commence lui aussi à y prendre goût. Et ce n'est pas bien …Rien ne justifie qu'on fasse danser les gens, qu'on les fasse crier , qu'on ferme les marchés, qu'on vide les écoles, qu'on aligne les gosses pour leur faire chanter des conneries. C'est de l'humiliation. Emmanuel Roblès définissait à peu près ainsi ce qu'on appelle " La Patrie " :

" C'est un lieu où l'on peut vivre sans subir ni donner l'humiliation ".

On peut ne pas être d'accord avec moi, on n'est jamais d'accord avec moi(ce n'est pas grave ) mais je pense que faire faire aux gens ce qu'on leur fait faire pendant les " visites officielles "et autres " inauguration "est tout simplement immoral.

Je ne sais quels arguments faut-il employer pour convaincre un citoyen X de venir tel jour à telle heure pour recevoir " dignement "(tu parles) tel responsable( tu parles encore, et comment !)ou tel autre. Je ne sais pas non plus quelle démarche conduira ce citoyen X, paisible mauritanien en demi-vie en un bled perdu(mais retrouvé pour l'occasion)à abdiquer toute forme de dignité et se livrer en pâture à des visiteurs déjà pourtant repus. " Les réceptions " qu'on nous montre à la télé avec tam tam, dame trépidante, fou hurleur, bambins chantant et notables saluant sont une tradition coloniale.

Quand le " commandant " déniait se rendre dans un patelin de son "cercle "les habitants devaient montrer qu'ils étaient " sensibles " à l'honneur qu'on leur faisait en " extériorisant " leur joie, ce qui n'était pas facile, les gens y étant traditionnellement peu démonstratifs. Ces " démonstrations " étant la preuve de " l 'attachement des populations indigènes à la France ". Cela fonctionnait un peu comme le principe de la langue de bois : obliger les gens à gommer une grande partie de leur personnalité, à s'auto-dénaturer en quelque sorte, afin qu'ils ne puissent plus se penser ni penser en dehors du système dominant.

Une technique de récupération par humiliation.

C'est aussi pendant la colonisation que les notables ont fait leur apparition. Et ils étaient "notables " d'abord par des " signes extérieurs " vestimentaires notamment. D'où, chez les maures, par exemple " Daraat Elmelga "_le boubou de l'audience _ qu'on revêtait uniquement lorsqu'on recevait ou était reçu par le " commandant " ou autre agent de l'administration coloniale.

Avant la colonisation ces " réceptions " étaient inconnues.

D'abord ce sont les " administrés " qui se rendaient le plus souvent chez " l'administrateur "( Emir ou Cheikh),descendaient chez lui, lui posaient leurs problèmes. Lorsque l'Emir ou le Cheikh se déplace tout juste pousse-t-on un ou deux youyou pour l'accueillir ou tire-t-on une salve de mousquetons en l'air.

On ne se masse pas entre les tentes ou aux portes du Ksar pour l'accueillir, les bergers n'abandonnent pas leurs troupeaux, les paysans restent dans leurs champs, les caravanes continuent tranquillement leur voyage.

Avec l'accession de nos pays à l'indépendance, "l'attachement à la France " laissa la place à " l'attachement indéfectible au parti et au père de la Nation ".Ce fut le règne du parti unique.

Le règne des " réceptions ", en " témoignage de soutien ",en " hommage ", en ceci, en cela ; le règne de la pensée unique et du vêtement unique. Les " foules en liesse " venaient accueillir " spontanément " le " Père de la Nation " engendrant des commentaires obligatoires du genre : " Jeunes et vieux, hommes, femmes et enfants parés de leurs plus beaux atours ont tenu à venir pour exprimer leur gratitude au Père -fondateur de la Nation et à la direction nationale ". C'est ainsi que l'image que je garde du PPM est celle d'un rang de boubous empesés sur fond de tamtam, d'odeurs de méchoui et de stridences de haut-parleurs défaillants.

Les militaires qui ont succédé au " Père de la Nation " n'ont pas modifié cette " tradition ".

" L'ouverture démocratique " non plus. Aujourd'hui personne ne s'étonne plus de voir les gens de mederdra, de Bagodine, de Néma, de M'Bout ou Tizgriz

" extérioriser leur attachement à la direction nationale ".

Que peut penser le Président, le ministre, le premier ministre, le directeur ou le chef de service que l'on " reçoit " ? Qu'est ce qu'il se dit en agitant la main et en suant sous sa chemise à 38O FF ? Peut-il un instant penser que ces gens-là sont " là rien que pour moi, parce qu'ils sont contents de me voir, qu'ils m'aiment " ?

Croira-t-il, l'espace d'un battement de cils, que son arrivée est un événement est plus important que le retour d'une chamelle disparue et qui revient pour mettre bas ?

Plus importante son arrivée, que la pluie ? Osera-t-il se dire que ça " c'est l'hospitalité " mauritanienne ?

Où a-t-on vu des gens trépigner et crier et ramper et jeûner toute une journée pour souhaiter la bienvenue à des étrangers ? Se sent-il, le président, le ministre, le premier ministre, le directeur ou le chef service " supérieur " à ces gens parce qu'il a pris une douche avant de sortir et parce qu'il vit à l'ombre ?

Refléchissons un instant à ces moments où une population, sous les pressions et parfois les menaces, vient " spontanément " de passage et s'arrêter tout juste avant de lui demander sa main .

Cela se passe souvent lors d'une " visite " où de " l'inauguration d'une importante réalisation ".

Les visites ont lieu on ne sait trop pourquoi, personne n'ayant pensé qu'elles pouvaient avoir un quelconque objectif. Elles servent en général ces visites, à des discours où l'on vante " les réalisations " qu'on a inauguré. Les " inaugurations " servent, à leur tour, à rappeler que, pendant la récente " visite " on a promis de réaliser ce qu'on " inaugure " aujourd'hui.

Ce qui amène à poser des questions auxquelles on ne fait souvent pas attention : A QUOI SERT UN ETAT ? A QUOI SERT UN GOUVERNEMENT ?

Je regarde les routes qu'on construit, l'électrification des villes, le projet de satellites domestiques (DOMSAT), les écoles …Je dis : Ok !

Et après avoir dit : Ok ! Je dis : Qu'est ce qu'il y'a là à fêter, où est l'événement exceptionnel, pourquoi les populations regardent la moindre table-banc comme une faveur extraordinaire, le moindre kilomètre de route bitumée comme un signe qui leur fait penser qu'elles sont le peuple élu des politiciens de Nouakchott ?

L'Etat, qui ne se justifie qu'en construisant les routes, les écoles, qu'en dotant le pays est-il à ce point moribond qu'il faut crier au miracle au moindre de ses mouvements ?

Je me refuse à croire, contre toutes les apparences, que les " responsables " (que je m'obstine à placer entre les signes de Guillaume ) ne sont à leurs postes que pour percevoir des salaires, profiter des avantages liés à la fonction, voler par-ci, grappiller par là et … se faire applaudir.

Je veux bien qu'on applaudisse le gouvernement qui construit des écoles et des routes mais il faut aussi l'applaudir quand il respire, quand il marche et quand il mange même si dans ce dernier cas de figure il faudrait applaudir continuellement pour suivre le rythme.

Il est temps de mettre fin aux pratiques coloniales qui régissent notre vie politique. Il est vrai que la colonisation est la seule " méthode politique " structurée connue dans nos pays avant ( ?)l'indépendance- et nos dirigeants successifs n'ont fait que perpétuer ce système de manière ou d'autre et leur attitude - physique et morale- nous confirme à longueur d'année cet état de choses, du plus " responsable "au plus petit préfet, véritable satrape des temps modernes.

OUI

Il est temps de " décoloniser nos têtes " de nous penser, de cesser de nous auto-humilier. C'est la toute première condition d'un développement véritable.

Et si l'on tient tant à danser et à chanter, qu'on danse et qu'on chante donc pour ce qui n'a pas été " inauguré " : La justice, la transparence, la bonne gestion, l'intégrité, le sens de l'Etat, la démocratie, l'égalité des chances, les politiques adéquates pour la santé, l'éducation, la pêche, l'agriculture, les mines, l'emploi et j'en oublie.

Que pèsent les 13 villes " électrifiées " pendant 13 jours face à ça ? Que pèsent 42 kilomètres de mauvais bitume et deux salles de classe ? Dansons et chantons ce qui n'a pas été fait. ça promet un beau tamtam.

Habituellement on chante d'abord et on danse ensuite. Nous, nous avons chanté et dansé en même temps. Nous n'en serons que plus dépourvus le jour où viendra la bise. Et nous ne pourrons même plus aller crier famine chez la fourmi, notre voisine.

 

 

 

HABIB OULD MAHFOUDH CHRONIQUE MAURITANIDES

LE CALAME N° 173 DU 25 MARS 1997

 

 

LETTRE OUVERTE A UN CHAMEAU.

" La critique n'est pas action, elle se borne à suivre l'action ".Ludwig Feuerbach

 

Mon cher chameau,

e sais déjà qu'il n'est pas facile d'être un chameau par les temps qui courent. Tu bosses suffisamment dur pour pouvoir penser à autre chose. Mais je suis sûr que tu me pardonneras, du fin fond de ton désert, de t'avoir adressé cette lettre.

Je t' écris en fait pour ne rien dire. C'est génial, n'est-ce pas. D'abord ne t'inquiète pas de la citation mise en exergue. Ça ne veut rien dire. Il est vrai que ce Feuerbach n'est pas con …Enfin pas plus qu'un autre …mais ça ne justifie rien …Tout au plus cela traduit notre incapacité intellectuelle actuelle à produire nous même, pour nous même …

Nous sommes retombés dans un moyen âge intellectuel où le " le magister dixit " est plus actuel que jamais …Nous sommes devenus des consommateurs à temps plein …Mais nous ne consommons que des sous-produits, des déchets … toxiques.

Notre espace culturel est un triste théâtre où de jeunes gens à la moustache nietzschéenne marchent sur les pieds des vieillards égrenant des chapelets de citations moyenâgeuses …

Chacun se démène sur scène, crie, interpelle, accuse, récuse, excuse, exige, oblige, s'érige…

Devant une salle vide. Le public est parti, lassé de ces singeries.

L'orchestre de " l'élite " noie cette mascarade dans une cacophonie que personne n'écoute …

Chameau, notre culture n'est plus qu'un bout de papier … dans une cuvette de D-W …

Nous sommes passés maîtres de la singerie, de la Représentation …

La presse, le conformisme, le confort intellectuel, le psittacisme sont nos maîtres-mots…

Nous nous enivrons d'ersatz importé…Nous nous gavons d'idéologie cuisinée dans les Mac Donald's de la médiocrité universelle…Nous mâchons du chewing-gum que d'autres ailleurs ont craché il y'a très longtemps …

*Chameau, nos vêtements nous les cherchons dans les magasins de prêt-à-porter. Et nos idées dans les magasins du prêt -à- penser.

Tout ceci pour te dire que j'ai eu recours à un allemand pour exprimer une idée que n'importe quel chameau aurait pu trouver en ruminant…

Excuse-moi, très cher, ( ô combien ! ), de te faire perdre quelques années de ton précieux temps…encore heureux que tu n'aies pas de montre…Tu sais, cet objet diabolique qui mesure le temps,qui nous conditionne tellement que je me demande si ce n'est lui qui nious a inventés. A propos, suis-tu régulièrement tes cours d'alphabétisation ?

Ne me dis pas que tu as toujours su lire et écrire, ce n'est pas vrai…

Je sais qu'il est frustrant pour un adulte de quitter ses certitudes et son confort imbécile pour apprendre à lire et à écrire…On se demande toujours à cet âge à quoi sert l'instruction. Surtout lorsqu'elle est sans finalité …Bon, pendant que tu y est, inscris aussi ta grand-mère comme ça au moins elle pourra écouter les actualités du mercredi soir sur Radio Mauritanie …

Mon cher chameau, à part ça, ça va. Ton neveu va bien. Je l'ai vu l'autre jour. Il m'a dit qu'après avoir traîné sa bosse un peu partout-Golfe, Libye, Sénégal- il a été engagé comme chauffeur de taxi. Et c'est un travail qui rapporte (…)

L'autre jour, j'ai entendu il faudrait, dans un futur proche, un permis pour conduire les chameaux …Tu imagines ? Stop ! Police ! Papiers ! Hop ! Que ça saute ! F rein à main ! Clignotant ! Descendez ! Qu'est-ce qu'il a dans le ventre, votre chameau ? Assurance ? Surcharge ! Il y'a une personne en trop ! Dis, tu imagines ça ? Un chameau s'arrêtant aux stops, pilant aux feux rouges, freinant des quatre pattes pour ramasser une belle jeune femme à côté du marché ? Ce serait sublime …Arrêtons de rêver …

Tu ris, tu ris, chameau…Et tu as tort …Parce que au fond cette vie me plaît …Parce que ce n'est qu'une transition …Parce qu'elle disparaîtra d'elle-même...Parce que la situation est difficile mais pas désespérée …Parce que des hommes et des femmes croient toujours en leur pays, malgré la rhétorique imbécile, malgré les discours nébuleux, les idéologies périmées, les analyses tautologiques…Malgré les contraventions dressées aux chameaux, l'alphabétisation des vaches, la vente des bouses aux supermarchés, le soutien-gorge imposé aux chèvres … Malgré notre poisson qu'on exporte pour importer ensuite, notre fer qu'on vend pour pouvoir acheter après …Malgré ces hommes d'affaires qui ne font pas d'affaires, ces directeurs qui ne dirigent pas, ces enseignants analphabètes, ces chanteurs muets, ces millionnaires qui mendient, ces athlètes paralytiques … Oui, chameau, nous espérons …Et nous avons raison d'espérer …

Chameau, entre tes dunes poudreuses et les étoiles tristes, tu dois bien t'ennuyer…Viens ici à Nouakchott, amène ta famille, tes voisins, ton berger même s'il le faut, ce tortionnaire sadique.

Viens. Prends du papier journal, un jerrican, une boite de haricots vide et plante ta baraque là où tu voudras… Je te vois bien marcher de ton poids altier au marché du 5 e entre les vendeurs de voiles et les vendeuses de boubou…Fais comme tout le monde.

Tu es mauritanien toi aussi, bon sang ! N'oublie pas ta carte d'identité, ta nationalité, ton casier judiciaire et colle -toi un timbre de 50 ouguiya sur la gueule. Ainsi tu ne pourras plus l'ouvrir et tu aurais l'air d'une demande manuscrite …

Chameau, mon frère, chameau…Ne viens pas si tu veux …Je te comprends. Nous te comprenons ; comme toi nous avons connu l'ivresse des espaces transparents, des infinis bleutés …Nous avons bu les clairs de lune comme toi … Comme toi nous avons trouvé des mirages, cherché des ailleurs qui n'existent nulle part…

Chameau, et nous avons su que la poésie est l'exigence d'un monde qui n'est pas le notre …

Et nous sommes partis.

E t mon pays, chameau, et mon peuple, se sont révélés un long, long, long poème inachevé …Un poème se faisait lui-même, vivant, bâtissant sa chair de sa chair, respirant le monde vibrant au rythme de son propre parfum…

Et moi, et toi, et nous, nous sommes en fin de compte que des traîtres et des apostats … Salut !

 

 

Ce texte a été publié une première fois dans le numéro 004 en 1988 de Mauritanie- Demain.

 

Le poing sur le i

Quelques réactions s'efforçant de puiser dans un capital d'indignation encore intacte ont suivi les déclarations de Hamdi ould Mouknass, notre ancien ministre des affaires étrangères à l'Eveil-Hebdo et à Jeune Afrique. Ces réactions frileuses traduisent l'immaturité d'une certaine opinion qui prend l'autruche comme symbole et l'amnésie comme programme.

Rien ne sert d'essayer d'oublier le problème negro-africain et de vouloir en rendre le Sénégal responsable. Près d'un demi- millier de morts dont 339 d'un seul coup ne peuvent pas être escamotés au détour d'une phrase ni éjectés de la mémoire par un slogan de marchand ambulant. Un mort, un seul, est déjà un mort de trop. Se taire est une lâcheté. Vouloir bâillonner les autres est un crime. Ould Mouknass nous fait honneur. Il est le premier homme politique indépendant à avoir rompu le mur du silence, de la honte et de l'hypocrisie. Ceux qui le lui reprochent le font sur commande. Ils auront été vils même dans la basse servilité.

Les chiens du régime aboient. Et passe la caravane de l'Histoire.

Habib OULD Mahfoudh AL BAYANE N° O2 DU 25 AU 31 DECEMBRE 1991

 

Post-Sriptum

 

Dans deux semaines les mauritaniens se rendront aux urnes. Ils choisiront l'espoir. Forcément. Que homme saura-t-il l'incarner, l'incarne-t-il déjà, on ne peut jurer de rien.

L'essentiel est peut-être ailleurs. Que les campagnes électorales, les opérations de vote se déroulent bien et c'est une bataille de gagnée. Quand la démocratie entre dans les mœurs elle en sort rarement. On s'habitue vite à la liberté. Le processus démocratique dont nous louions naguère la presque normalité s'enlise dans les manœuvres administratives et les calculs des Machiavel de quartier. Nous aimerions croire que c'est seulement un excès de zèle de subalternes et non pas une " orientation " venue d'en haut. L'administration s'avère de plus en plus incapable de gérer la normalité. Son rôle de facilitateur, elle n'a jamais su, jamais pu, le jouer. Institution compacte, elle entend le rester. Pas par fidélité ni par conviction. La politique du fauteuil et de la marmite. Ce n'est pas demain que nos administrateurs se feront tuer pour leurs principes. Ne nous grandissent ni nos administrations, ni notre gouvernement , ni leurs agissements réels ou supposés. Serons-nous toujours emmenés à faire nôtre cette phrase de Saint-Just : " Le seul ennemi du peuple c'est son gouvernement. " ?

HABIB OULD MAHFOUDH AL BAYANE N° 004 DU 8 AU 14 JANVIER 1992

 

 

LE PREMIER MOT

Ne faisons pas le bilan de l'année 92. Ce sera mortel . Nous nous remettrons difficilement de tant d'occasions ratées et de déceptions planifiées. N'essayons pas de savoir ce que nous réserve 1993. Il est inutile de vivre deux fois l'enfer. Nous aurions pourtant tant aimé avoir des raisons d'espérer. Nous aurions tant aimé pouvoir croire la Mauritanie pays d'avenir. Nous l'aurions tant aimée …

Notre pays nous a habitué à nous décevoir si bien que les déceptions ne signifient plus rien pour nous. Nous restait nos illusions. Nos illusions aussi ont fini par nous décevoir.

Et on nous a volé le peu de folie qui nous entretenait jusque-là en vie.

Non, ne faisons pas de bilan. Souhaitons-nous bonne année.

Sourions-nous, avant que l'on taxe les sourires, ou qu'on nous les dévalue.

Sourions-nous avant que l'on nous vole nos sourires.

Bonne année quand même, à tout le monde, bonne année. Avant que l'on nous vole nos mots.

Habib ould Mahfoudh

AL BAYANE N°55 du 30 décembre au 6 Janvier 1992

 

MAURITANIDES CHRONIQUE DU TEMPS QUI NE PASSE PAS

HABIB OULD MAHFOUDH LE CALAME N° 287 du 18 au 25 Juillet 2000

Voilà le premier Mauritanides du Calame (N° 00 du 14 Juillet 1993) qui " commémore " à sa façon le 10 juillet 1978,jour du coup d'Etat. Après les Mauritanides de Mauritanie-Demain et d'AL Bayane , c'est à peu près le 80 ème Mauritanides (je ne suis pas sûr).

 

Le dix juillet est toujours (toujours) une journée à commémorer. Ce dix juillet 1978, je m'en souviens comme si c'était demain soir. Je dormais - exactement comme je dormais le jour du fameux 12/12/84, comme quoi après les 400 coups, faut toujours prévoir le 401 ème, qui est souvent un coup d'Etat - je dormais comme dorment les dormeurs conscients de leur dormition ( à ce stade ce n'est plus le sommeil, c'est plus, disons , philosophique…)lorsqu'un vieux marabout me réveilla. Il avait un gros poste radio JVC qui braillait une marche militaire assez quelconque et à en croire le vieux marabout, c'était grave. Pour il n'y avait absolument rien de grave, tant que le prof ne m'a pas collé un zéro. Pour lui c'était clair :on vient de renverser le ministre de l'intérieur Ahmed ould Mohamed sala, ce qui s'appelle un coup d'Etat, étant entendu qu'il était hors de question que Mokhtar puisse être renversé dans son entendement . Coup d'état ou pas coup d'état, ma matinée maigrelette était bel et bien fichue. La musique militaire s'arrêta et une voix appliquée dans son emphase, à l'articulation laborieuse (celle de Ould Deh ) l'actuel, passé et futur directeur du port de Nouakchott ), répandit sur le pays ce qui passa à la postérité sous le nom de " communiqué N° 1 " et couvre ces fortes paroles : " Mauritaniens, Mauritaniennes, peuples de héros, de régime de corruption anti-nationale et anti-populaire a pris fin. Les forces armées, dépositaires en dernier recours de légitimité nationale, ont pris le pouvoir… " et ainsi de suite.

C'était donc assez sérieux pour que je consente à lâcher mon cousin. La première question que je me posais a eu seulement -à ce moment-là et que je me pose encore- est de savoir comment doit se comporter le citoyen d'un pays gouverné par les militaires, que doit faire un " putché ". Ma première conclusion fut la suivante : il faut éviter comme la peste tout ce qui rappelle de près ou de loin, le régime " de la corruption anti et anti ", à savoir le méchoui, le Sahara et sa guerre et sa paix, les bureaux (politiques et autres), les secrétaires fédéraux, les peuples et leurs partis, la limonade, les discours de plus de deux heures, le terme " camarade ", Abdallahi Salem Ould Ahmedoua, les festivals, les voyages à l'étranger, les avocats, le mot " ministre " et un tas d'autres choses relevant du champ sémantique Daddahien.

Il fallait par contre, d'après mes conclusions, s'appliquer à faire des fautes d'orthographe, sentir l'harmattan, d'efforts inutiles et le fromage de chaussettes, piller régulièrement les boutiques de Guerra, arriver à l'heure, dire " ouay " et " no ", traquer les gazelles " beaucoup moins dangereuses que guerilleros du Polisario en 4*4, raconter des histoires qui commencent toujours par " l'autre heure à Tichla " ou " l'autre, nous, à Aweynat Imijij, nous n'étions pas au courant jusqu'à ce qu'un obus dise Kar entre nous… Je dis à mes amis : Ils se sont assis avec nous, les dénaturés ".

Il faut dire que jusqu'à la guerre du Sahara, l'image des militaires que j'avais, bien que fils de gendarme très " jugulaire-jugulaire ", se réduisait à une sorte de comptine que nous répétions dans les cours de récré : " voiture 4X4, numéro 4 4 4 4, ici le sergent G'naybira, c'est à dire moi-même, envoyer un cable, et un hable, et un frigidaire africain ". De là, nous passions à cette belle déclaration d'amour militaire : " quand je suis coté de toi, mon cœur il est Frigidaire, quand je suis loin de toi il est Butagaz ". Le rapport n'est pas évident, je sais, mais un mot rime rarement avec logique, beaucoup moins souvent en tout cas qu'avec certaines marques déposées.

N'allaient à l'armée , pour nous que les cancres et les têtes brûlées. C'était insultant jusqu'à un certain point mais parfaitement défendable au-delà. De faute d'orthographe en faute de syntaxe nos valeureux militaires confirmèrent avec la guerre du Sahara puis de façon plus nette après leur accession au pouvoir, ce que Boris Vian savait déjà : Que " le propre du militaire était la sale du civil ".

Pour en revenir à mon premier 10 juillet, je puis vous certifier, sur l'honneur, que j'étais vraiment vraiment désemparé . Je sus beaucoup plus tard que je n'étais pas le seul à l'être.

Les auteurs du coup d'état l'étaient encore plus que moi. Le jour du coup d'état , des personnalités d'horizons divers (en fait plutôt des horizons du côté où les horizons se lèvent ) et des " notables en réserve de la République " furent convoqués à la présidence de la République un peu après dix heures. Personne d'entre eux ne savait exactement ce dont il pourrait bien s'agir. Nous en étions à notre premier coup d'état et le système n'avait pas encore généré ces hommes à géométrie variable qui s'adapte et adhère à toutes les surfaces et dont la devise est la fidélité à la trahison. Les turbans rivalisaient de blancheur et les boubous empesés accentuaient la solennité du moment. L'ambiance sentait l'inquiétude devant l'inconnu et la lessive Omo .

Surgit Sid Ahmed ould Bneijara. Soit même.

Celui qui le jour du 10 juillet 93, sera nommé médiateur de la République. Ce jour-là, il pensait son heure de gloire arriver. Il faisait partie de " l'aile civile " du " mouvement du 10 juillet " ayant pris le train en marche en janvier, six mois plutôt , alors que la préparation du coup d'état entrait dans son troisième mois .

Ould Bneijara prit la paroles devant les vieux turbans : il annonçait la révolution, rien de moins .

Son discours annonçait le 17 octobre 1917 , la nationalisation du Canal de Suez ; fleurait bon les œillets et les maquis boliviens ; un discours Faroukicide . L'apocalypse pour l'impérialisme et ses suppôts ; le chant des damnés de la terre. L'assemblée qui écoutait bouche bée eut brusquement très soif. Des fantômes de Robespierre tournoyèrent dans les airs e't sortirent avec Ould Bneijara. Un moment après lui, ce fut autour de Ismael Ould amar ( à l'époque directeur de la Snim ), membre lui aussi de l'aile civile du mouvement du 10 juillet, qu'il a rejoint moins de deux semaines plus tôt.

Ould Amar y alla de son petit boniment, d'un libéralisme forcené. Tout n'était que privatisations, libre concurrence, laisser -faire et laisser -laisser.

Le coup d'état de Ould Bneijara et de ould Amar n'était visiblement pas le même. L'un d'eux s'était trompé de " mouvement ". Le troisième à parler était Cheikhna ould Mohamed Lagdhaf, l'un des pères du 10 juillet, étant le premier civil contacté par le " quarteron " des putchistes _Moustapha ould Mohamed saleck, Jiddou ould Saleck, Ahmedou ould abdellah et ould haidalla _ en octobre 1977. Mais Cheikhna avait lui aussi sa version du coup d'état : C'était la " revanche des laisser pour compte de l'Est du pays qui forment la majorité de ce peuple ". Certains notables arrivèrent très vite à la conclusion qu'il n'y avait pas un seul coup d'état mais trois. Réellement il y'en avait quatre, de coups d'état.

On s'en aperçut quand Moustapha ould Mohamed Saleck fit irruption dans la salle en rangers et tenue paras (" peut-être tombe-t-il du ciel ", se dirent certains) et se mit à expliquer " le sens du mouvement du 10 juillet ". Le problème pour lui était surtout d'ordre économique , le pays étant au bord du gouffre à cause de la guerre du Sahara.

Les personnalités présentes le crurent sur le champ : Il était en tenue militaire. Les autres n'étaient déjà plus " que " des civils. Ce terme de " civil " (siwil en hassania), il faut le reconnaître, avait une forte connotation péjorative (sans que le terme " militaire "_sandri_ soit toutefois valorisant). Mais personne n'avait jugé bon d'appeler le régime de Ould daddah " régime siwil ", avant le 10 juillet. Et même avec le 10 juillet on lui trouva une autre appellation : " le régime déchu "(le verbe " déchoir "connut d'ailleurs une fortune remarquable par la suite). Ce qui sauvait l'honneur, ls militaires n'étant moins " siwil " que les civils.

L'aile civile et l'aile militaire (des ailes pour voler sans doute) du " mouvement du 10 juillet " eurent d'ailleurs tôt fait de s'affronter. Bref, en me réveillant ce 10 juillet 1978, j'étais aussi perdu que les autres Mauritaniens, les auteurs du coup d'état compris. Il faut dire que j'en suis toujours au même point. Seulement aujourd'hui seul Maaouya ould Taya, assis en bout de table le jour du coup d'état, gouverne. Il est là depuis le 12 décembre 1984 et y restera très probablement jusqu'au 12 décembre 2004.

Quant à moi, comme dit yedaly hacen, il ne me reste plus qu'à vous souhaiter bonne nuit. Une nuit aussi longue, il faut faire avec. Le soleil ne se lèvera pas demain, croyez-moi. Une certitude : " ni temps passés ni les amours reviennent … ". Et si le temps passait et les amours n'étaient jamais partis.

 

***

J'ai toujours souhaité mourir avant Habib pour au moins une raison : avoir droit à un hommage écrit par lui. Vous pouvez dire que je suis un fou, ou que je suis encore sous l'émotion de la perte d'un frère et d'un ami irremplaçable. Tout ceci est vrai . J suis encore sous le choc _ je le serai peut-être toujours _ mais vous aurez alors oublié que chaque écrit de Habib est une œuvre d'art, un monument de littérature… Pour s'en rendre compte , je vous recommande de lire l'hommage qu'avait écrit Habib dans le n° 316 du Calame à Jemal ould Hacen . Mais le destin en a décidé autrement.

Habib nous a quitté mercredi dernier, 31 octobre , mort loin du pays, dans un hôpital parisien .Il a été inhumé samedi dernier à Nouakchott et beaucoup de monde l'a accueilli à l'aéroport. Ces instants-là étaient pour moi tout simplement insupportables. Lorsque j'ai vu son cercueil débarqué pêle-mêle parmi des bagages aussi insignifiants, aussi anonymes des voyageurs , lui que j'ai connu élégant, intelligent et vivant, cela m'avait choqué et j'ai failli m'écrouler. Quand on connaît Habib, on ne peut qu'être choqué par cette image.

Habib, au fond de moi, je n'arrive pas à me convaincre que tu es mort et que je ne te reverrai plus. Je continue à communiquer avec toi et à imaginer tes réactions éventuelles sur tous les événements. Tu faisais partie de notre quotidien et nous ne pourrons jamais nous dispenser de tes Mauritanides , pas ceux que tu écrivais seulement , mais ceux que tu racontais tous les jours au Calame.

Pour ceux qui ne te connaissent pas, je vais faire part de deux petites histoires qui reflètent parfaitement ton génie, ton originalité et ton statut , celui qui fait de toi l'un des meilleurs écrivains et intellectuels de l'espace francophone.

Habib se faisait comme obligation religieuse d'écrire ses textes sur le papier avant de les saisir ou de les faire saisir sur la machine. Je lui avais demandé une fois pourquoi il n'écrivait pas directement sur l'ordinateur, lui qui savait bien manipuler ces machines. Sa réponse était simple , je dirais même artistique. Il m'avait expliqué qu'il avait des rapports particuliers avec les lettres et les mots.

" Certains mots, me dit-il, font partie de notre famille( Ehl Khaimetna) et j'entretiens avec eux des rapports fraternels, d'autres sont parfois mes ennemis et je ne veux pas les voir … cette relation ne peut s'exprimer que si j'écris les mots d'abord sur papier afin d'être sûr que mes ennemis parmi eux ne feront pas leur apparition dans ce que j'écris ou s'ils allaient se réconcilier avec moi… "

L'autre histoire que je tiens à vous raconter est la relation de Habib avec la cigarette. Beaucoup de gens lui avaient demandé de se conformer aux recommandations de ses médecins qui lui ont recommandé d' arrêter de fumer. Malgré la dégradation de son état de santé il avait continué à fumer sa cigarette jusqu'à la fin . Il estimait que fumer est un geste inutile, mais éminemment humain. Seul l'être humain pouvait , disait-il , faire quelque chose d'inutile, les animaux ne peuvent pas. En fumant notre regretté Habib vivait simplement son statut d'être humain . Certains peuvent penser qu'il n'est pas raisonnable. Certes, il n'a jamais revendiqué cette raison-là. Il ne peut pas pour la simple raison qu'il est de la race des génies , ceux-là qui ont leur propre conception et perception des choses. Une perception qui pourrait parfois paraître incompréhensible pour nous autres hommes ordinaires.

Adieu Habib, je continuerai à te pleurer jusqu'à la fin de mes jours.

HOMMAGE A HABIB OULD MAHFOUDH

MOUSSA OULD HAMED NOUVEAU DIRECTEUR DU CALAME

N°332 DU 8 NOVEMBRE 2001

PARTOUT IL A ETE GRAND

Il arrive des circonstances où les mots ne peuvent exprimer la sensation de douleur, où le chagrin devient si démesuré que la parole se dénue de toute signification.

La mort de Habib en est une . Il était mon grand ami, l'ami de tout le monde, le journaliste le plus doué et le plus célèbre de l'histoire de la Mauritanie. Il était aussi un grand érudit, un grand humaniste, un grand militant de la Liberté un "grand " tout court.

Depuis 12 ans que je le connais, il a toujours été égal à lui-même : toujours généreux , toujours fidèle toujours honnête toujours droit toujours souriant et toujours disponible pour donner le meilleur de lui-même. Aussi bien à Mauritanie-Demain, à Al Bayane qu'au Calame, Habib a toujours conservé la même audace, la même verve journalistique, le même sens de l'humour et la même profondeur d'analyse, avec comme leitmotiv la Vérité et la Liberté.

Le Ca lame un journal qu'il a crée et maintenu contre vents et marées, doit coûte que coûte continuer, sans lui hélas, mais avec son empreinte indélébile et son souvenir éternel. J'encourage vivement mes amis Moussa, Hindou , Ahmed et les autres à perpétuer cette œuvre grandiose que le défunt leur a léguée . Il y va de leur responsabilité devant l'Histoire, mais aussi et surtout par respect de la mémoire du grand , très grand Habib .

Dors en paix mon cher ami , je te pleurerai toujours , la Mauritanie te pleurera, la Liberté te pleurera, le Savoir te pleurera. Et ceux qui n'ont pas eu la chance de te connaître sauront un jour , en feuilletant tes œuvres éternelles ce que tu as été : u homme hors pair.

Qu'Allah le clément, le Miséricordieux, t'accueille en son saint Paradis. AMIN.

Hommage à HABIB ABDALLAH OULD ISMAEL

Le Calame N° 332 du 8 Nov 2001

MAURITANIDES LE CALAME N° 138 DU SAMEDI 30 MARS 1996 ss

 

 

Cette jeune femme habite dans zone que les gens appellent " carrefour " et que l'administration, qui vient d'une autre planète - et y est revenue - nomme " Arafat ", bien que ceux qui sont concernés situent ledit Arafat plus au sud. Notre demoiselle -je présume du moins que c'en est une -mène une vie normale de demoiselle entre son travail et ses occupations familiales qui, justement, ce soir là la mènent à la boutique d'à-côté.

Mais il ne fallait pas, ce soir-là justement, être dans la boutique d'à-côté parce que la police du carrefour a décidé de " ramasser " - c'est le terme qu'on emploie- toutes les femmes qui mettaient le nez dehors dans la zone. Si l'on veut être plus précis on dira : toutes les femmes qui ne resteraient pas chez elles ou ne mettraient pas SUFFISAMMENT le nez dehors, parce qu'on s'est contenté de ramasser juste aux abords des maisons.

La jeune femme qui, un moment, ne pas obtempérer aux injonctions des policiers, fut jetée sans ménagement dans la voiture déjà pleine de " ramassées ", rouée de cous, insultée copieusement et emmenée au commissariat. Là, on lui dit de s'acquitter d'une amende de 600 ouguiyas contre laquelle on lui délivrera un reçu qu'elle devrait montrer aux policiers ramasseurs si d'aventure elle les rencontrait à nouveau sur le chemin de retour. N'était l'intervention d'un policier qu'elle connaissait et qui traînait par-là, la jeune femme, qui ne voulait pas payer l'amende, aurait passé la nuit dans l'infâme cagibi des gardés à vue du commissariat entre voleurs et violeurs.

Cette histoire, hélas, est banale. Mais c'est sa banalité même qui nous force, toute indignation mise à part, à faire certaines constatations dont personne ne sort grandi.

Posons-nous les premières questions, les plus simples : Pourquoi c'est à arafat-carrefour qu'il y'a le plus de rafles de femmes ? Est-ce un territoire conquis ? Une nouvelle terre de " Seiba " dans laquelle tout est permis ? Sont-ce des sans-droits qui y habitent ou des sans-loi qui y font la police ? Une habitante de arafat-carrefour aurait donc moins de droits, serait plus " suspecte " qu'une femme du ksar, de Tevragh Zeina, ou de Toujounine ? Pourquoi ?

Questions moins simples maintenant : Pourquoi " ramasse "-t-on les femmes et pas les hommes ? Quel type de société sommes-nous devenus ? Il n'y a en effet que deux angles sous lesquelles considérer les choses : un angle "conservateur " qui voudrait que l'on " porte les femmes sur nos têtes " , qu'on les respecte plus que les hommes, et l'angle< progressiste > qui veut, très simplement, qu'on traite les femmes sur le même pied d'égalité. Ayant échappé à l'un et l'autre des angles, cela voudrait-il dire que nous avons tout perdu, que nous nous sommes perdus entre des traditions qui nous permettaient d'être et un modernisme qui nous permettrait d'avoir ?

Ces questions posées, amusons-nous à leur trouver des réponses, même si partielles.

Toute femme, à Nouakchott au moins est supposée s'être livrée, est en train de se livrer ou en voie de se livrer à la prostitution. C'est une nouvelle perception de la femme par des hommes totalement déboussolés par une marche sans repères dans un désert moral que pas une source ou un point d'eau ou une oasis ne viennent adoucir. A Nouakchott la femme est perçue par l'homme comme une ennemie, le plus souvent ; au mieux, comme une rivale. Confrontés à la vie dans un univers nouveau -la ville- les mauritaniens, nomades à plus de 92% en 1960, ont mal supporté le choc, surtout celui de l'anonymat. Au campement, au village, on savait qui était qui et qui était quoi, et on trouvait toutes sortes de justifications.

En ville, bien que la morale y est plus stricte qu'au campement contrairement à l'idée reçue, on condamne tout de suite, n'ayant plus à se préoccuper des liens tribaux ou familiaux. La ville a en quelque sorte asséché la réserve de tolérance du mauritanien qui pourtant l'avait grande.

Une autre raison : le Mauritanien qui croyait " sa supériorité " sur la femme définitivement acceptée, évidente et " naturelle ", s'aperçoit de jour en jour que si la femme ne lui est pas " supérieure " , elle a au moins autant de capacités que lui. Alors, pour se réconforter, on " ramasse " On " ramasse " les femmes pour leur signifier explicitement qu'elles seront toujours des mineures, des personnes incomplètes, des pécheresses en puissance, un danger public potentiel, une bombe à retardement.

Remarquez bien qu'on dit en français comme en hassania " ramasser les femmes " .Comme on dit ramasser les ordures. Cela expliquerait pourquoi notre capitale a si souvent des problèmes de voirie.

On préfère la nettoyer de ses femmes. Quand est-ce qu'on arrivera à remplir les bennes et les voitures poubelles de femmes pour les emmener à la décharge municipale ? A défaut de pouvoir recycler nos ordures, recyclerons-nous un jour nos femmes pour en faire des hommes ?

Qui a dit à propos de quoi " qu'ils sont au bord de l'homme et le couvrent d'ordures " ? Des mauritaniens en tout cas ils diraient qu'ils sont au bord de l'homme et le couvrent de femmes. Et notre bonne vieille sagesse qui dit que " les femmes sont turbans pour les hommes de bien et sandales pour les gens de peu " …

Mais qui donc achètera les godasses de nos policiers ?

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